Entouré de son séculier

May 10, 2024

Discussion sur le rôle des groupes musicaux chrétiens sur la scène des festivals de musique populaire.

« Il est important que nous puissions chanter les louanges dans nos [conditions]. Bien sûr, nous ne faisons pas que des chants religieux, mais certaines places semblent mettre un tabou sur des mots comme “Jésus”, nous ne voulons pas altérer notre message ou notre musique. »
- MARCIA BAILEY

La musique d’adoration existe depuis déjà l’époque du livre des Psaumes et a été utilisée par les communautés de croyants tout au long de l’histoire pour promouvoir et partager leurs convictions les plus profondes. Néanmoins, des questions se posent quant aux lieux dans lesquels il est approprié pour un chrétien de chanter les louanges. Archives s’est entretenu avec Pasteur Daniel Chéry, fondateur de l’église Le Refuge,  ainsi que Marcia Bailey et Joel Campbell, respectivement fondatrice et directeur du groupe Imani Gospel Singers (IGS), pour s'interroger sur le rôle des musiciens et musiciennes de confession chrétienne.

L’église Le Refuge a vu le jour en 2013 à Montréal et a comme pasteur Daniel Chéry. En plus d’être musicien et père de 4 enfants, il dédie sa vie à Dieu à travers son église et ses performances musicales. Lui et son groupe ont joué à plusieurs reprises dans des festivals de musique populaire pour y faire interpréter un genre de « kompa chrétien ». Daniel Chéry qualifie son église d’« un peu différente », vu l’emphase qu’on y fait sur la dimension pratique de l’évangile. C’est un lieu de culte avec un public relativement jeune qui utilise des canaux de diffusions modernes (chaîne YouTube, podcast, événements en plein air, etc.) pour atteindre un grand auditoire généralement basé à Montréal.  

Le pasteur explique qu’il ressent un véritable plaisir à participer à ces événements de musique grand public. Il décrit l’expérience extraordinaire des dernières représentations de l’été en ajoutant que c’était une deuxième année réussie pour son église. Pour lui, c’est une chance pour a communauté d’être visible dans la programmation des festivals de Montréal.

« J’avoue que la première fois, on ne savait pas vraiment si ça allait plaire, du kompa à message chrétien »

Daniel Chéry explique qu’il avait déjà connu un certain succès avec un groupe de kompa chrétien avant de devenir un homme d’église. C’était donc naturel pour lui de revenir sur la scène même après être devenu pasteur, avec une inspiration encore plus forte. L’homme de foi raconte également que le public répondait à chaque fois à ses demandes de louanges. « Tout le monde levait la main et chantait, même dans ce genre de festival. C’était beau! », déclare-t-il.

Il affirme d’ailleurs avoir choisi de performer dans des festivals ouverts à tous, car c’est selon lui un bon moyen de performer devant un public qui n’est pas nécessairement chrétien. « Dieu nous a donné la musique et le kompa comme plateforme de conversation. On veut interagir avec le public, communiquer avec eux ! » On peut ici y voir un état d’esprit qui représente bien son slogan de « prêcher partout et en tout temps! »

Église Le Refuge, Montreal, Canada

Marcia Bailey et son chœur ont chanté le 8 juillet dernier dans la programmation Brunch Gospel du cabaret Le Balcon dans le cadre du Festival international de Jazz de Montréal. La chorale Imani Gospel Singers (IGS) a été créée en 1993, et est basée à Montréal. Jouant partout en Amérique du Nord, elle livre « un message inspirant d’amour et d’espoir à travers le Gospel », selon les dires de sa fondatrice.

Marcia Bailey affirme d’entrée de jeu sa volonté de garder le message religieux dans ses performances: « Il est important que nous puissions chanter les louanges dans nos [conditions]. Bien sûr, nous ne faisons pas que des chants religieux, mais certaines places semblent mettre un tabou sur des mots comme “Jésus”, nous ne voulons pas altérer notre message ou notre musique. »  

Le groupe s’était déjà produit plusieurs fois, auparavant, dans le cabaret Le Balcon et Marcia l’apprécie toujours autant. « Bien que ce soit situé dans une église, c’est un cadre vraiment ouvert. On peut y performer pour un public divers, pas forcément chrétien, et surtout, garder notre message intact sans restriction », confirme-t-elle.  

Un enjeu de ces échanges avec ces artistes était de comprendre la nature de l’appel pour les chrétiens, plus précisément la vocation particulière de l’artiste chrétien qui se définit dans la bible comme « une invitation, une convocation ou un commandement divin qui est adressée aux êtres humains par Dieu. Cet appel peut revêtir différentes formes, notamment l'appel à la foi, à la repentance, à la vocation religieuse, à l'obéissance aux commandements divins, à la prière, à l'action juste et à la communion avec Dieu. »  Une illustration de cette définition de l’appel pourrait être: Samuel 3:10-11 (Ancien Testament) : L'appel du jeune Samuel par Dieu lorsqu'il était au service du prêtre Eli. En quelque sorte, Dieu choisit ses disciples et leur donne la tâche d’agir en son nom ou de répandre sa volonté.  

Après une discussion sur leur passage dans quelques festivals montréalais, l’équipe du magazine en a profité pour questionner les deux partis sur leur mission et l’importance d’aller partager la gloire de Dieu dans des lieux séculiers à travers la musique.

Lorsqu’on demande au pasteur Daniel Chéry si le kompa chrétien était pour lui la vocation de sa troupe, il réfère aux paroles de Jésus. « Il nous a dit de partir partout dans le monde et prêcher la bonne nouvelle! Il est important pour nous en tant que chrétien de remplir ce devoir », clarifie-t-il. « Bien sûr, chaque personne a différents appels, tout chrétien et toute église doit trouver son domaine d’expertise, son don, son talent pour prêcher la bonne nouvelle de Jésus! », évoque le pasteur.  Selon lui, le kompa est le style d’évangile que Dieu les appelle à développer pour unir les chrétiens et chrétiennes, et pour appeler le reste du monde.

Pour répondre à cette grande question, Marcia Bailey nous ramène à la définition de gospel, terme venant de l’anglais pour parler de bonne nouvelle. « C’est notre mission d’utiliser la musique et le chant pour rassembler les gens sous la bannière de Dieu », insiste-t-elle.  Elle ajoute à cela que « ce qui est intéressant, c’est que même un public non chrétien se retrouvera en train de chanter les louanges et à être touché sans le savoir grâce à la musique. Par exemple, Happy Days est un son que nous avons l’habitude de chanter et [il] soulèvera toujours les foules ».  Elle explique que c’est pour cette raison qu’elle a choisi le gospel. C’est une manière de communiquer avec les autres et de les toucher à travers leurs performances. Joel Campbell, directeur musical de IGS, fait aussi mention de l’appel de Jésus à ne pas « cacher la lampe sous le boisseau ». « On doit aller dehors pour partager la bonne nouvelle! On ne peut pas toucher le cœur des gens en restant dans nos églises, c’est notre mission! », rapporte-t-il.

IMANI Gospel live performance, Montreal, Canada

Bien sûr, tout le monde n’est pas d’accord avec ces arguments. Les critiques sont aussi à prendre en compte et les trois chefs de file en sont bien conscients. Ils expliquent d’ailleurs leur position face au fait d’être associé à des événements de musique dite « séculière » et de jouer pour un public parfois peu réceptif.

« Il faut faire la différence entre la musique séculière et profane. La musique séculière c’est des productions qui ne font pas directement les louanges de Dieu, mais qui peuvent faire référence à des émotions positives comme la joie, l’amour, l’amitié, tant de bonnes choses qui sont ultimement reliées à Dieu », révèle Marcia de son expérience.  Elle donne l’exemple de Happy de Pharell Williams, une chanson qu’elle et son groupe jouent souvent pour entraîner les foules.  « Les chansons profanes quant à elles font référence à des émotions impures, négatives, celles que nous ne voulons pas promouvoir. Faire la différence entre les deux est le moyen de savoir quel genre de musique on peut faire. »

Le pasteur Daniel Chéry nous répond en mentionnant une discussion qu’il a eue avec un de ses pairs sur le même sujet. « On m’a parfois dit que j’exagérais en utilisant le kompa [pour prêcher] dans certains endroits et que je menais un combat. À cela, je réponds toujours, Jésus après sa mort est allé prêcher en enfer! Si Jésus est allé prêcher même jusqu’en enfer, alors nous pouvons prêcher n’importe où! », finit-il son discours. Il rappelle que « bien sûr, on s’amuse en jouant notre musique et notre chant, mais c’est avant tout une mission d’évangélisation que nous faisons auprès des individus qui ne sont pas à l’église ou qui n’y vont pas. »

À travers ces deux discussions, on comprend donc que savoir quel type de contenu est acceptable et fidèle à la parole de Dieu, en plus de comprendre l’importance d’aller prêcher en terre étrangère, sont les clefs du succès pour des musiciens chrétiens “en mission”. Cela veut-il dire que n’importe quel groupe chrétien peut aller jouer n’importe où? Les trois intervenants clarifient les choses et offrent également leurs conseils au public.

Le pasteur Daniel qui a déjà de nombreuses représentations à son actif s’incline à dire qu’« il est important d’avoir une mission et une conviction claire de la part de Dieu, on peut appeler cela un mandat. C’est s’assurer qu’il y ait un bon message et une stratégie derrière chacune de nos performances ».  Il ajoute en plus que « lorsqu’on mène une telle mission, il faut être préparé ». Marcia Bailey dirige son chœur depuis 20 ans, elle peut dire d’expérience qu’« il faut surtout être strict et ne pas reculer sur ce que tu veux chanter et pour qui tu veux chanter. Certains endroits ne voudront pas que tu parles de Jésus, dans ce cas-là, n’altères pas ton message et ta volonté, trouves un endroit où la nature de ton travail sera acceptée! » Son partenaire Joel Campbell ajoute que « le plus important c’est de suivre ton cœur. Celui-ci te dira où il est bon de travailler ou pas, tu le sentiras. En tant que chrétien, il est important de prêcher, mais nous devons aussi connaître nos limites! Tous les endroits ne sont pas faits pour que l’on [puisse performer] ».

À travers ces trois témoignages, on comprend que la chose la plus importante avant d’aller prêcher la parole dans des événements de musique grand public, c’est qu’il faut s’assurer de découvrir si c’est bien son appel!  

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